Thibault Sinay : « Difficile de vivre du métier de scénographe »

    Thibault Sinay

    Le président du Syndicat des scénographes, costumiers et créateurs lumière décrit des professions malmenées par la réduction des productions.

    Comment les scénographes vivent-ils le moment ?
    Ce qui se dessinait déjà s’accentue. Le plan Mieux produire, mieux diffuser, va de pair avec une réduction des budgets. L’opéra qui était une valeur sûre est encore plus sacrifié. Le peu de productions qu’il reste s’y fait avec des bouts de ficelle. Les ateliers de construction commencent aussi à être en difficulté. Le scénographe vit de créations et une seule création ne suffit pas pour vivre. Son statut n’est pas adapté.

    C’est-à-dire ?
    Nous avons une double casquette d’artiste-auteur et de technicien du spectacle. Ce statut de technicien n’est pas le bon. Pour arriver à 507 heures, il faut faire beaucoup de productions, puisqu’en tant que technicien, on est bloqué à 8 heures par jour. L’annexe 10 des artistes est la plus juste pour nous et correspond à la réalité des heures que nous faisons. Aujourd’hui, quand nous travaillons en Europe, on ne peut pas déclarer nos heures. Pour la formation, c’est plus difficile. Le ministère nous renvoie aux partenaires sociaux où on n’arrive pas à faire bouger les lignes dans le marasme actuel. Il y a un risque de disparition du métier.

    Où en êtes-vous sur le droit d’auteur ?
    Le droit d’auteur s’applique pour l’exploitation et pour le réemploi. Mais les droits ne sont soit pas payés, soit refusés au moment de signer le contrat par de grosses productions privées qui commencent à avoir le monopole sur la scène parisienne. Le ministère nous répond « Faites des procès !». Mais aucun scénographe ne prend le risque de se griller pour gagner finalement peu d’argent.

    Comment est perçu votre manuel de l’écoscénographie sur le réemploi des décors ?
    Il y a encore de la pédagogie à faire. Les gens se bloquent. Or, quand nous disons qu’il y a un droit d’auteur à respecter, cela ne signifie pas que ce n’est plus possible. Le droit d’auteur n’est pas un frein au réemploi. Aujourd’hui, dans un souci général d’économie, le mot d’ordre est d’utiliser les stocks. Ce n’est pas agréable de voir son travail réutilisé sans être cité. Le ministère nous dit de faire des procès, mais ce n’est pas si simple. Souvent les contrats ne sont pas signés, ne sont pas clairs. Et il y a des relations de subordination fortes. Beaucoup de choses ne sont pas posées sur la place publique par les artistes qui ont peur d’être blacklistés.

    Quel autre sujet à l’agenda ?
    On suit les évolutions sur l’IA qui ne va pas forcément dans le bon sens. Nous sommes dans un moment charnière. Idem pour les costumes : on fait du contemporain parce qu’il n’y a plus d’argent pour des costumes d’époque. On aimerait que les journalistes critiques s’emparent de ces questions. Les partis pris artistiques sont parfois des choix par défaut. Si Eric Ruf revendique un décor vide pour Le Soulier de Satin, il faut aussi dire que l’atelier décor est en chantier. De façon générale, la presse ne souligne pas le manque de clarté.  

    Propos recueillis par Yves Perennou

    En partenariat avec La Lettre du Spectacle 575

    Crédit photo : Cyril Cosson