Au Théâtre national de Strasbourg, l’association professionnelle réunissant les directions techniques du spectacle vivant organisait, le 14 octobre, trois tables rondes autour de l’avenir de leurs métiers. Les débats allaient de la précarisation au retard accumulé sur les évolutions technologiques. La dernière se penchait sur l’avenir de la hiérarchie en questionnant « la gouvernance des lieux et les rapports communs ». La modératrice Chloé Langeard, maîtresse de conférences en sociologie, relevait « la relative nouveauté dans le monde du spectacle des problématiques de ressources humaines (RH) pour les employeurs ».
Partage des responsabilités
Le passage aux 35h a été pointé comme le premier changement important. Pour Marc Jacquemond, directeur technique de l’Agence culturelle Grand Est, « c’est à ce moment que les membres de la technique se sont changés en prestataires au service de l’artistique, aux dépens du travail collectif qui les unissait jusqu’alors. » Un constat que partage avec désarroi Daniel Jeanneteau, directeur du T2G à Gennevilliers depuis 2017. « J’ai vécu des scènes primitives à Nanterre avec Claude Régy où le technicien qui vissait du placo en fond de scène avait un rapport artistique fort avec le projet en cours. » Le pire est « ce besoin de hiérarchie forte » exprimé par toute l’équipe à son arrivée à la direction de Gennevilliers. « Chacun s’en tient à son périmètre de compétence. » Tout le contraire de l’expérience dont témoigne Romain Rhodon qui travaille au 37e Parallèle, à Tours, où « la hiérarchie a été abolie ». Le directeur technique, fraîchement diplômé du CFPTS, invite « à ne pas croire que c’est impossible ». Tourné vers les arts de la rue, ce lieu est autogéré par neuf compagnies permanentes. Toutes les décisions y sont prises de manière collégiales et horizontales, au consensus. « Bien sûr, cela demande du temps, mais émerge de ce type de décisions une intelligence collective ». À la hiérarchie, Daniel Jeanneteau préfère la « responsabilité » et les « changements réciproques » car « l’usage du pouvoir et l’obtention de quelque chose par ce biais est toujours un échec ».
Des modèles pour demain
Carole Le Rendu, titulaire d’une chaire de recherche RH et innovations sociales à Nantes, confirme le retard pris par les théâtres dans ces problématiques : « Les porteurs de projets manquent cruellement de compétences et de formation en management. En France, aucune école d’art, de théâtre ou de danse ne propose ce type de cours. » Elle propose de se pencher sur les « angles morts des innovations sociales » : coopératives d’emploi et groupements d’employeurs. Pour Micha Ferrier-Barbut, conseil en management, nous assistons à « un effondrement des statuts hiérarchiques dans les directions car la culture ne se dote pas des outils adéquats. Les RH ne sont toujours pas une priorité, même si le ministère planche sur une formation pour 2020 à destination des directeurs. »
Thomas Flagel
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°459
Crédit photo : Eric Deguin