Stéphane Krasniewski : « En vingt ans, le SMA a répondu  au besoin de représentation et est devenu une force de proposition »

    Stéphane Krasniewski

    Le président du Syndicat des musiques actuelles, et directeur du festival des Suds (Arles), retrace le parcours de cette organisation qui fête ses vingt ans. De sa création dans un monde qui découvrait l’Internet, à l’arrivée de l’IA... 

    Est-ce une fierté d’avoir vingt ans et de représenter plus de 600 structures ?
    Oui, bien sûr. C’est une fierté de représenter encore vingt ans plus tard l’ensemble de la filière et d’avoir réussi à construire un syndicat pour cette filière qui n’était pas présente dans les instances alors. Le syndicat s’est créé pour répondre à cette attente. Et vingt ans plus tard, le SMA y a répondu, et est désormais force de proposition. Nous avons réussi à construire une organisation représentative qui, désormais, réussit à accompagner, voire anticiper les mutations et les besoins de la filière.

    C’est un syndicat de l’intérêt général ? 
    Nous défendons une certaine idée de l’intérêt général, avec des structures qui se reconnaissent dans les valeurs de l’économie sociale et solidaire. Pas nécessairement à but non lucratif, car nous avons aussi des sociétés, mais elles réinvestissent l’ensemble des bénéfices dans le projet. Nous nous retrouvons dans cette vision de la culture qui se met au service de l’intérêt général.

    Ce qui a changé depuis 2004 ?
    Tout. Quand on fait un flashback, pour préparer cet anniversaire, on voit qu’on a pris de face la révolution numérique, avec des transformations sur les modèles économiques, sur les habitudes des consommateurs, tout en en voyant les potentialités. Il y a vingt ans, c’était le début de YouTube, de MySpace. Aujourd’hui, on en est à des milliers de titres générés chaque jour par l’IA déposés sur les plateformes de streaming. En 2024, on avait des salles qui étaient encore en train de se structurer, le label scène de musiques actuelles n’avait que huit ans. Désormais, on a une multiplication des lieux, une diversification de leurs activités et des festivals devenus des acteurs structurants des territoires et de la filière. Mais ils doivent pour autant se réinventer, car ils sont en tension et à un moment charnière de leur existence.

    L’euphorie des débuts passée, quelles sont vos grandes problématiques ?
    C’est le financement et les moyens qu’on consacre à la culture, la volonté politique, la vision politique que l’on partage ou pas sur le rôle de la culture dans la définition du rapport à l’autre, et à nos territoires. Le tout dans un contexte politique et idéologique extrêmement tendu qui pose question. Par ailleurs, se pose le défi de l’avenir des festivals et des salles frappés par de multiples crises, mais aussi l’arrivée de nouveaux opérateurs. Et s’y ajoutent les cas de censure que l’on voit se multiplier. Tout ce contexte devrait nous amener à plus de solidarité dans la filière et à un renforcement du soutien public pour préserver cette exception culturelle. 

    Craignez-vous pour l’existence de certains de vos adhérents ?
    Oui, nous sommes inquiets que la conjoncture soit fatale à certains adhérents. Certains festivals ont déjà eu du mal. Tout le monde n’a pas vécu la sortie de crise sanitaire de la même manière. Certains ont pu amortir les mauvais chiffres grâce au soutien du Centre national de la musique, des collectivités, grâce à leurs fonds propres, mais ce n’est pas une situation qui leur permettra de pérenniser l’événement. Des festivals qui ont eu des pertes ces dernières années, et si elles se reproduisent, cela risque de les mettre en danger. Nous sommes aussi inquiets pour les salles qui n’arrivent pas à amortir la hausse des coûts malgré le rattrapage de la dotation de l’État pour les lieux labellisés en 2024, d’autant qu’on n’est pas sûr qu’il soit maintenu en 2025. Ça va fragiliser l’ensemble de la chaîne, les producteurs, les salles et les festivals.

    Si tout a changé en vingt ans, arrive-t-on à un nouveau chapitre de fonctionnement de la filière ?
    Je pense qu’on est dans un entre-deux. C’est assez gramscien comme vision, mais oui, d’une certaine manière, les multiples crises dont on parle ne sont-elles pas tout simplement que les facettes d’une seule et même crise qui est systémique et qui présage d’un monde qui reste à inventer ? Voilà, à nous de savoir ce que l’on souhaite en faire. À nous de savoir quel visage on veut donner à ce monde-là, qui sera plus écoresponsable, plus en phase avec les défis de la crise climatique, plus en phase avec les attentes sociétales aussi, d’une manière générale. C’est autant stimulant qu’inquiétant.

    Ce sont les axes de votre mandat ?
    Nous essayons d’œuvrer autour de trois axes à l’évolution de nos structures, de notre filière, voire même à son anticipation. C’est à la fois l’écologie, mais également la question des conditions de travail et de la liberté d’expression. Sur l’écologie, on a fait le projet Déclic, décarbonons le Live collectivement ! ; sur les conditions de travail, on a lancé le pacte Emma (Ensemble, repensons les métiers des musiques actuelles) ; et nous travaillons toute la question de la liberté d’expression qui, selon nous, est également menacée et qui est fondamentale. C’est un sujet sur lequel on sera extrêmement présent et vigilant. 

    Propos recueillis par Jérôme Vallette

    En partenariat avec La Lettre du Spectacle 575

    Crédit photo : Julien Pebrel