Nommé en 2021 à la direction de l’Opéra national de Bordeaux, Emmanuel Hondré vient de présenter sa troisième saison, mais fait face à des problèmes de ressources humaines.
Quelle est la situation financière de l’Opéra national de Bordeaux ?
2023 signe un retour à l’équilibre avec un excédent symbolique de 350 000 euros. Notre budget est de 32,2 millions d’euros pour 2024, dont 16,7 millions de la Ville, qui a augmenté sa subvention de 400 000 euros depuis 2023 pour notamment accompagner la croissance de la masse salariale. L’augmentation de l’indice des fonctionnaires de 3,5 % à l’été 2022 représentait 500 000 euros. En ce qui concerne la fréquentation, nous comptabilisons 230 000 entrées sur cette saison, ce qui correspond aux chiffres de 2018. Mais le lancement des abonnements sur les trois premiers jours est excellent.
Les partenaires privés sont plus nombreux…
Mécénat et parrainage représentent 1,6 million d’euros cette année contre 650 000 en 2022, ce qui explique notre excédent. Nous avons développé des axes de mécénat, comme l’émergence, les talents féminins ou le « zéro achat » pour rendre plus lisible leur soutien. Notre première mécène est Madame Aline Foriel-Destezet laquelle s’est engagée pour trois ans à soutenir l’Académie, de jeunes artistes émergents de 25 à 30 ans. Ils sont accueillis en résidence durant un an pour revisiter — de façon autogérée mais accompagnée — une œuvre du répertoire, Le Barbier de Séville en 2025. J’ai mis en place des concerts pour bébés, des ateliers de pratique et d’éveil, des chœurs auxquels peuvent se joindre des amateurs et développé les concerts et bals participatifs. Les actions hors les murs permettent de dépasser une relation descendante ou de clientèle face à une offre de diffusion, en travaillant avec des associations ou collectivités.
Pourquoi votre établissement produit-il moins d’opéras que le Capitole de Toulouse ?
La prochaine saison accueillera 4 ballets et 8 opéras, 4 grandes formes, dont trois productions : Les Sentinelles, Norma et Fidelio, et 4 formes moyennes. Il y a moins de grandes formes que je ne le voudrais par manque de ressources. Dans un avenir proche, j’aspire à produire 4 grandes formes, idéalement 5 par saison. Et contrairement à ce que j’entends parfois, mon projet d’ouverture « Opéra citoyen » ne se fait pas au détriment des productions, toutes ces nouvelles formes sont financées par le mécénat. Mon autre grand souhait est de reconstituer le nombre de postes permanents de l’orchestre, qui était de 106 en 2009. Il y a 87 postes pourvus aujourd’hui, 78 si l’on tient compte des arrêts maladie, années sabbatiques ou mises en disponibilité. Nous engageons donc des musiciens intermittents, en attendant de pouvoir recruter une dizaine de permanents selon nos moyens.
Au printemps 2023, les personnels techniques ont dénoncé des « projets plus complexes à mettre en place dans des délais toujours plus courts ». Plusieurs départs ou arrêts maladie sont à déplorer...
Il y a effectivement eu des tensions à cause d’une activité importante et d’une attente dans le renouvellement de certains postes techniques et administratifs. Six postes techniques sont en cours de recrutement. Nous devons stabiliser voire un peu diminuer le niveau d’activité et moderniser nos outils informatiques. Nous attendions aussi les conclusions des trois audits publics, dont ceux de la chambre régionale des comptes. Une docteure en psychologie a été recrutée, sur la proposition du médecin du travail. Ses conclusions ont été restituées au personnel le 21 juin. À ce jour, 319 postes (soit 312 équivalents temps plein) sont pourvus, nous prévoyons d’ici la fin de l’année d’atteindre 333 postes (soit 330,5 ETP).
Allez-vous changer de statut ?
La chambre régionale des comptes recommande le passage de régie personnalisée à EPCC [établissement public de coopération culturelle, NDLR]. Je constate que l’Opéra national de Bordeaux est le seul opéra français à ne pas être financé par sa métropole, alors qu’un tiers de notre public est issu de ce territoire et non de Bordeaux.
Qu’est-ce que les productions « zéro achat » ?
Avec le Requiem, de Mozart, nous avons inauguré un opéra sans acheter ni décor, ni accessoires, ni costumes. Cela implique un grand travail de prospection et un principe de transversalité, sans pour autant brider la création qui doit partir de l’existant et s’affranchir de conceptions standardisées. Pour le Requiem puis La Bohème, cela a représenté 40 000 et 100 000 euros d’économies en matériel, mais davantage de dépenses salariales en temps de travail effectué. Nous adopterons ce programme pour la production des Sentinelles (mise en scène et livret Chloé Lechat).
Propos recueillis par Nicolas Dambre
En partenariat avec La Lettre du spectacle n°564
Crédit photo : Julien Mignot