Le réseau Association Jazz Croisé (AJC), organise ses rencontres du 2 au 4 décembre à La Dynamo de Banlieues bleues (Pantin). Au programme, des débats sur la situation du jazz et deux soirées concerts avec les lauréats des programmes d’accompagnement du réseau : l’historique Jazz Migration, et le nouveau-né Jazz With. Rencontre avec Antoine Bos, délégué général d’AJC.
Ces rencontres AJC, c’est le temps fort de votre réseau ?
C’est un moment pour se retrouver tous ensemble, en physique et non pas en visioconférence, calé aussi sur un temps associatif assez important (une journée et demie de travail avec nos invités). Cette année, on a un focus sur les programmateurs de lieux et de festivals de la Réunion. C’est assez intense pour nos adhérents qui vont discuter de coopération dans la diffusion, de meilleure circulation des artistes, d’international, et le temps associatif, avec les présentations des activités 2024, des chantiers 2025, et de leurs grands enjeux.
Est-ce ouvert à tous ?
Oui, nous avons aussi des temps qui concernent tous les professionnels du jazz, car il y a très peu d’espaces pour que les acteurs du jazz se retrouvent. Il y a deux soirées de concerts ouvertes avec, au milieu, un buffet qui permet à la profession de se retrouver, et une table ronde dédiée aux dynamiques de coopération entre acteurs du jazz. C’est un débat qui dépasse le cadre d’AJC : comment notre secteur fait face aux contraintes économiques, aux complexités d’ordre écologique, aux questions de diversité, d’égalité de genre, etc. Il y aura le Centre national de la musique, la DGCA, car l’idée c’est aussi de questionner nos partenaires sur leur accompagnement de ces structures de diffusion et de ce travail d’artisanat de la musique.
Vous présentez aussi vos projets : Jazz Migration, bien installé, et Jazz With, plus jeune.
Il a fallu du temps pour mettre Jazz Migration, créé en 2002, à cet endroit-là et ses fondations sont encore relativement fragiles, parce qu’il y a une tension autour de la diffusion des artistes. Mais c’est un projet d’accompagnement de musiciens émergents de jazz et musiques improvisées qui fonctionne bien et qui a porté ses fruits : 250 musiciens, plus de 1 000 concerts en France et en Europe. Depuis 2016, il apporte aux lauréats et finalistes des outils de structuration et de professionnalisation dans le cadre d’un parcours global, adapté aux spécificités du jazz. On reçoit plus d’une centaine de candidatures chaque année, on travaille avec 30 musiciens sur deux ans parce que les cycles de génération durent deux ans [les quatre lauréats 2024 sont Marsavril, Nubu, Sėlēnę et [Na]].
C’est un vrai projet d’accompagnement d’artistes émergents ?
Oui. Le monde du jazz et des musiques improvisées de manière générale souffre cruellement d’un manque d’entourage. Et les artistes d’un manque de formation à ces questions. Je pense qu’il n’y a rien de mieux que des structures de diffusion pour le faire. Et avec cette idée, à chaque fois, d’accompagner des artistes français à aller à l’étranger. Pour les programmateurs et pour les musiciens, il y a besoin d’avoir ces connexions.
Et Jazz With ?
C’est notre dernier né pour accompagner les groupes français et européens qui ont plusieurs nationalités en leur sein et qui ont des difficultés à trouver des partenaires. AJC travaille depuis des années aux questions de développement international. On invite chaque année autour de 100 professionnels étrangers à découvrir des artistes français, on a soutenu des festivals à Rome, à Berlin, on a des partenariats... Pour Jazz With nous avons fait un appel à candidatures européen, et reçu plus de 100 réponses, ce qui est énorme pour une première. On en a sélectionné trois : TIM, le trio Volkmann/Jarret/Andrzejewski et Weave 4. On travaille avec eux depuis plusieurs mois en les guidant dans leur diffusion, en France et en Europe. C’est un travail d’intermédiaire. On donne à chacun une bourse de 3 000 euros et ils vont jouer devant des professionnels des pays dans lesquels ils veulent travailler, qu’on invite. Notre ambition, c’est que cet argent ne serve qu’à des tournées.
Vous avez des fonds européens ?
Non, ce sont des fonds de nos partenaires, le CNM, le ministère de la Culture, et aussi des fonds propres. Je ne désespère pas d’arriver à en faire quelque chose d’un peu plus lourd pour qu’on soit en mesure de les accompagner un peu plus, car 3 000 euros ce n’est pas énorme dans le montage d’une tournée. C’est un coup de pouce. Ce serait bien qu’on ai non pas trois mais quatre groupes. On avance tout doucement, j’espère mettre autour de la table différents partenaires pour aller un peu plus loin.
De votre poste d’observation, quelle est la situation du Jazz ?
On sortira début 2025 des données 2023 de nos adhérents. En ayant vu ces chiffres de loin, je vois déjà qu’entre 2023 et 2024 il y a une baisse assez relative de la diffusion, ou en tout cas de l’accueil d’artistes, donc de l’emploi artistique. ça fait quelques mois qu’on nous dit dans le réseau que c’est compliqué et là ça se manifeste en chiffres. Je vois qu’on est face à un problème réel. On a des lieux et des festivals, des structures de diffusion qui ont de moins en moins de marge artistique pour travailler. On a plusieurs structures qui ont préparé leur programmation de septembre à décembre avec beaucoup de coproduction et pas de programmation pure.
Observez-vous, vous aussi, une hausse des cachets ?
Oui, on a une hausse du coût des cachets pour les grandes têtes d’affiches, aux alentours de 10 %. Mais on a aussi besoin de ces têtes d’affiche dans le développement des publics. Alors que les émergents ou des artistes de longue date se retrouvent avec des cachets équivalents depuis 10 ans. Le problème qu’on traverse est celui du partage de la richesse au sein de ce secteur-là et au sein du champ musical.
Vos adhérents sont soutenus ?
Au sein du réseau AJC, j’ai une vingtaine, voire une trentaine de structures qui ont des budgets en dessous de 150 000 euros. Ce sont des structures qui sont pourtant de grands organes de diffusion de la musique, qui programment de manière très professionnelle les artistes, et qui, aujourd’hui, ne trouvent pas auprès des tutelles publiques le moindre soutien. Et ça va devenir problématique.
La situation s’aggrave ?
Cette tension économique dure depuis très longtemps. On commence à se rendre compte qu’on a déjà gratté jusqu’à l’os. Je ne connais aucune structure chez moi qui peut s’enorgueillir d’être confortable en ce moment. Je sens la tension partout, à tous les endroits, et pour la première fois de manière aussi importante.
Pourtant, les projets vivent ?
Sur l’artistique, on a des projets incroyables, et il y a une énergie qui est folle sur Jazz Migration et Jazz With. Notre réseau est parmi les plus actifs, avec une vitalité dingue. C’est bien d’avoir creusé dedans, mais il faut la cultiver. Les politiques publiques auraient à cœur de se rendre compte que le secteur ne peut pas vivre que de cette vitalité. Il faut aussi des moyens pour le faire.
Propos recueillis par Jérôme Vallette
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°570
Légende photo : Antoine Bos, délégué général d’AJC
Crédit photo : D. R.