Plus de 800 représentations et 323 000 spectateurs ! Les Gros patinent bien, poursuit son succès avec une importante tournée 2024-2025, tout en jouant au Théâtre Saint-Georges (Paris) jusqu’à fin 2024. Onze comédiens travaillent sur ce duo comique, joué jusqu’à trois fois par soir. Pierre Guillois, auteur, comédien et directeur de la Compagnie le Fils du grand réseau, défend un élargissement des publics en misant sur la combinaison privé-public.
Comment fonctionne la tournée des Gros patinent bien ?
La Compagnie le Fils du grand réseau est implantée en Bretagne et conventionnée par la DRAC. D’autre part, Ki m’aime me suive produit au Théâtre Saint-Georges et, avant cela, produisait au Tristan-Bernard. Cette année, le spectacle va jouer essentiellement sur ce qui est plus leur réseau que le nôtre, de théâtres municipaux. Des théâtres où la compagnie ne va pas souvent. Là, on a atteint une telle notoriété que c’est possible.
La diffusion est gérée par Ki m’aime me suive ?
Une grosse partie de la tournée est prise en charge par la compagnie : les scènes nationales, l’international… Les “ une seule date ”, c’est Ki m’aime me suive. Pour cela, ils ont fabriqué un nouveau décor (450 cartons). C’est un gros chantier. Maintenant, il y en a même trois. Et les équipes : 6 maigres et 5 gros. C’est la seule façon d’assurer tant de dates et le spectacle est éprouvant physiquement. J’ai passé les trois dernières années à former des gens et composer des équipes. Aujourd’hui, c’est plutôt Olivier Martin-Salvan qui prend le relais. C’est un gros travail de répétition et un investissement.
Pourquoi ce succès ?
C’est compliqué de le savoir… Dès les balbutiements, le concept a emballé les gens, avant le Molière. Que ce soit comique, c’est indéniable : la comédie donne confiance aux gens. Le bouche à oreille fonctionne fort partout où on joue plusieurs jours. Et il y a un élément intergénérationnel. Les parents viennent avec des enfants de tous les âges. Au théâtre, souvent le texte nous sépare à un endroit. Cette histoire, on ne l’a pas calculée.
Ressentez-vous tout de même les difficultés économiques des théâtres ?
Non. On est un peu honteux, mais on est à contre-courant. Nous devenons une valeur refuge. On ne se rend plus compte des difficultés sur nos nouvelles productions.
Et sur l’idée de programmateurs plus frileux sur les sujets dits sensibles ?
Je verrai avec les prochains projets qui sont des textes que j’ai écrits avec un humour assez vachard et des problématiques un peu sensibles. Le prochain, c’est Josiane, à partir du 22 novembre, au Théâtre de la Pépinière (Paris) qui est producteur, et non par ma compagnie. C’est un humour un peu rosse, parfois même un peu violent. Et la saison prochaine, avec la compagnie, je monte un spectacle avec des partenaires du théâtre public : un drame rural qui aborde le sujet du racisme.
Vous différenciez les codes d’expression entre théâtre privé et public ?
Non, c’est la même chose. Le spectacle que je monte à la Pépinière, j’aurais pu le monter dans le public. On a créé Les Gros patinent bien, et Bigre, dans le théâtre public. C’est le privé qui nous a invités. La directrice de la Pépinière connaît bien mon travail et je ne fais pas quelque chose de plus édulcoré ou plus comique. C’est le même registre.
Où en êtes-vous à l’international ?
On a fait le Fringe d’Édimbourg, à l’été 2023, sous le titre The Ice Hole. C’était un gros succès. On a de vraies perspectives avec le Canada, l’Australie, mais c’est très compliqué. La compagnie travaille l’international en direct. C’est un gros investissement, un peu effrayant. Autant l’Institut français est, pour l’instant, complètement absent et ne nous a pas accompagnés à Édimbourg, autant la DRAC Bretagne nous a soutenus en 2023 pour le Fringe d’Édimbourg, c’est tellement cher ! En Grande-Bretagne, vous faites un gros succès à Édimbourg, sans date derrière, parce qu’il n’y a pas d’argent. Il faudrait tourner à la recette. On cherche des productions à même de nous porter. Il faut être patient.
Un autre motif de patience, c’est votre idée d’un théâtre de la comédie.
Là, j’ai un peu laissé tomber. J’en ai parlé à deux ministres, ça n’a rien donné. Ce n’est pas grave. On tourne dans les scènes nationales, les centres dramatiques. On prouve que la comédie continue d’exister.
Serez-vous encore candidat à une direction de théâtre ?
J’ai échoué à Saint-Étienne et j’ai été un peu refroidi d’avoir touché de près ce qu’était une grosse maison. Je ne dis pas que je n’irai pas, mais la charge, le prix à payer pour être dans un lieu est tel que quand on a la chance d’avoir une compagnie qui marche bien, aller s’engager dans cet enfer… J’en avais envie pour me rapprocher du territoire, du public, travailler les séries. Avec la compagnie, on souffre de partir trop tôt des villes, au moment où on pourrait avoir des publics nouveaux, même s’il y a des petites victoires. Mais les cahiers des charges des lieux sont hallucinants et les ressources humaines, c’est très compliqué. Je ne suis pas le seul à le dire.
Propos recueillis par Yves Perennou
En partenariat avec La Lettre du spectacle n°569
Légende photo : Pierre Guillois
Crédit photo : Erwan Floch