Entretien avec Frédéric Hocquard, président de la FNCC (Fédération nationale des collectivités pour la culture)
Que pensez-vous de la nomination comme ministre de la Culture de Rima Abdul-Malak ?
Nous sommes satisfaits d’avoir quelqu’un que nous connaissons bien, qui, de par son parcours, est tout à fait à sa place pour occuper ce poste. Comme j’ai pu l’observer depuis les fonctions que j’ai occupées à Confluences ou à Arcadi, elle a une légitimité certaine au sein de notre secteur. En revanche, désormais, il y a quand même du pain sur la planche.
Que voulez-vous dire ?
Par exemple, on ne peut pas se satisfaire de juste dire que la culture a été soutenue financièrement pendant la pandémie. Que ça ait été le cas est tout à fait normal et cela l’a été au même titre que l’ensemble de l’économie, comme l’hôtellerie et la restauration. Je n’oublie pas certains couacs comme l’emploi des mots « non essentiel » par le gouvernement pour désigner notre secteur. Il y a des choses à corriger dans ce qui s’est passé au cours du quinquennat précédent.
Lesquelles ?
Le Pass culture par exemple. C’est un mécanisme de redistribution économique qui pourrait être déterminant. Aujourd’hui, il ne prend pas assez en compte le travail de médiation réalisé par les professionnels. Dans les collectivités, en région, on nous demande juste de le financer ou de le co-financer. Alors qu’on pourrait en faire un outil destiné à aider au retour du public dans les salles, en fléchant les montants qui dépendent de lui dans cette direction. Nous avons évoqué cet aspect au Printemps de Bourges lors de la réunion de notre bureau national. Le Pass culture, c’est quand même 200 M€, il serait absurde de ne pas chercher à en tirer profit.
Qu’est ce qui empêche de le faire, finalement ?
Le fait que nous ne soyons pas encore assez entrés dans un rapport de co-construction entre l’État et les collectivités territoriales. Il y a aujourd’hui très peu d’espaces de dialogue et de médiation en dehors des Coreps, les comités régionaux des professions du spectacle ou des CTC, les conseils des territoires pour la culture. Dans l’Éducation nationale, lorsqu’une décision de fermeture de classe est prise, tout le monde est informé et participe activement à la discussion sur l’opportunité de la décision même si, à la fin, c’est évidemment le gouvernement qui tranche. Dans un CTC, la possibilité de pouvoir donner sa position existe sur le papier mais il devrait y avoir un avis obligatoire.
Comme dans les commissions départementales d’équipement commercial ?
Exactement ! Si au moment de l’élaboration du Pass culture, on avait demandé leur avis aux CTC sur le Pass culture, on se serait aperçu que des initiatives similaires l’ont précédé dans de grandes régions françaises, certaines l’ont arrêté, d’autres l’ont prolongé, l’ont amélioré. On n’aurait peut être pas tâtonné autant dans la mise au point. Il y a donc un vrai sujet autour des CTC dont Roselyne Bachelot a accéléré la mise en place au cours des deux dernières années. Ils peuvent nous permettre d’avancer de concert pour valoriser au mieux les moyens déployés autour de la culture.
A combien s’évaluent ces moyens ?
4 Mds € pour l’État et 9,5 Mds € en provenance des collectivités. Mais la crise en région Rhône-Alpes cristallise certains désaccords de fond. Les collectivités territoriales ne tiendront pas, si on continue de leur serrer la vis. Macron a expliqué qu’il allait leur demander 10 Mds € d’économies, or elles sont déjà « à l’os » vu ce qu’elles ont dû assumer pendant la crise sanitaire, et ce, alors qu’elles demeurent très corsetées du point de vue de leurs ressources fiscales. Les collectivités ont des contraintes importantes, notre budget doit être à l’équilibre à la fin, tout cela ne peut pas se régler par une simple discussion entre Bercy et Bruxelles. Le pacte entre État et collectivités ne doit pas être brisé, l’effort budgétaire doit être partagé. J’alerte sur l’impact de l’augmentation du nombre d’allocataires du RSA.
Que préconisez-vous dès lors ?
L’an dernier, un rapport d’information de la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation et de la communication s’était penchée sur l’utilisation des crédits de relance déconcentrés. L’une des pistes de meilleure utilisation de ces fonds était bien la co-gestion entre État et collectivités territoriales. C’est ainsi que le plan de relance sera véritablement efficace. Et il y aura besoin de maintenir un effort de soutien, la crise est encore devant nous, le cinéma ne table que sur 140 millions d’entrées cette année alors qu’ils sont normalement sur 200 millions. De plus, les crédits doivent être déconcentrés sur une assise plus large que celle de la seule Île-de-France, qui a mobilisé 70 à 80 % du plan de relance.
Votre position est-elle totalement recevable dans la mesure où vous êtes élu à Paris ?
Je ne m’exprime pas au titre de mes fonctions d’adjoint à la Mairie de Paris en charge de la vie nocturne mais au nom des 600 adhérents de la FNCC que je représente. Et je suis aussi le premier à reconnaître qu’il y a bien un défaut de répartition. L’enjeu est d’habiller Paul ET d’habiller Pierre. On ne peut pas non plus occulter que l’Île-de-France compte énormément de monuments patrimoniaux. Fondamentalement, je considère qu’on ne consacre pas assez d’argent à la culture. J’ai récemment répondu à une interview avec la commission Culture de France Urbaine, je trouve désolant qu’ils ne montent pas d’avantage au créneau. Alors que nous travaillons très bien avec l’Association des maires de France. Depuis que je suis président, nous faisons plus de choses en région ; nous serons à Avignon ; notre prochain conseil d’administration se tiendra à Douai. Pour moi, les vraies questions de fond sont ailleurs.
Quelles sont-elles exactement ?
st-ce qu’il est possible de mettre en place un nouveau pacte entre le ministère de la Culture et l’ensemble du territoire ? Quel est le périmètre adéquat du ministère ? Ce ministère, ce n’est pas simplement celui des beaux-arts. J’ai été frappé de constater dans une interview de la ministre qu’elle considérait que les clubs et les boîtes de nuit relèvent du ministère de l’Intérieur. C’est à mon sens une conception minimaliste de la culture. La question des droits culturels, primordiale, se redéfinit d’ailleurs en permanence autour d’un périmètre mouvant, entre les professionnels mais aussi les amateurs, les esthétiques très aidées et celles qui le sont moins. Ces problématiques traversent en profondeur l’état, elles ne datent pas de Bachelot ou de Nyssen. Nous restons d’ailleurs preneurs du dialogue que nous avons entamé avec la ministre.
Propos recueillis par Nicolas Mollé
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°517
Crédit photo : Julien Pebrel