La saison chorégraphique 2024-2025 s’annonce, sur le plan institutionnel, à la fois complexe et essentielle. Vont se succéder un nombre impressionnant de procédures de nominations à la tête des centre chorégraphique nationaux à un rythme inédit.
Si l’on se borne aux directions artistiques, au moins quatre structures doivent changer de tête, et compter deux de plus dont la succession, déjà en débat, doit se concrétiser au cours de cette nouvelle saison : Caen, Belfort, Nantes et Rillieux-la-Pape pour les premières, Biarritz et Aix-en-Provence pour les secondes.
Un calendrier très dense
Et sans tenir compte de Montpellier qui empiète aussi sur la question des nominations institutionnelles (Jean-Paul Montanari, directeur du Festival Montpellier Danse et de L’Agora-Cité internationale de la danse souhaite voir fusionner le CCN avec ses deux organisations). Et la direction du ballet de Nice qui, pour ne pas relever du même univers institutionnel – le ministère n’y aura guère son mot à dire – viendra néanmoins braconner dans la même réserve de talents que pour le CCN de Biarritz et peut-être Aix-en-Provence, tant les compétences d’un directeur capable de mener une troupe d’une vingtaine de danseurs ne courent ni les scènes ni les studios.
Le calendrier s’avère particulièrement chargé : pour Rillieux-la-Pape, publication de l’appel à candidatures la semaine prochaine ; Nantes, publication en novembre ; Biarritz, début janvier ; et Caen, fin janvier ou début février. La question d’Angelin Preljocaj, renouvelé pour 3 ans, ne se posera qu’à partir de 2027, mais ses compétences feraient merveilles à Nice, et aucune décision n’est prise à propos de Belfort à ce stade. Quant à Montpellier, la publication est annoncée au début de l’automne, mais le dossier a connu tant de péripéties... Ce décompte ne peut prétendre à la précision mathématique : la pratique du prolongement exceptionnel a déjà été – avec de très justes raisons – utilisée, comme à Tours, où Thomas Lebrun a été encouragé à prolonger son mandat pour la construction du nouveau bâtiment du CCN. Mais il touche à ses limites dans le cas de Yuval Pick qui, de travaux en retards, est en poste depuis 2011…
Peu de profils disponibles
Certains des partants, quoiqu’ils pourraient postuler à une petite « rallonge temporelle », ne le souhaitent pas, comme Ambra Senatore (Nantes). Ce qui rappelle que, difficulté supplémentaire, le poste de directeur de CCN ne fait plus forcément rêver et qu’il faut des talents multiples pour y prétendre et accepter d’y trimer. Et des talents, il n’y en a plus guère à accepter de se confronter à ces responsabilités qui ont perdu beaucoup de charme à voir se multiplier les charges… L’établissement des dernières short lists, Nancy et Grenoble, et auparavant Créteil, a viré au cauchemar administratif avec report, contestations, voire suspicion. Les chiffres sont parfois cruels. Il va falloir trouver entre 30 et 42 candidatures pour établir de 5 à 7 short lists d’au moins 6 noms chacune, et la moitié de candidates, sans compter les collectifs… Un résultat qui n’a rien d’acquis… D’autant que les doutes se multiplient parmi les chorégraphes, dont nombre, parmi les plus à même de prendre ces fonctions, préfèrent diriger à leur idée leur propre structure, sur le modèle de Philippe Découflé (Saint-Denis) – quoique le chorégraphe a plusieurs fois hasardé des candidatures malheureuses à des postes de CCN. Ainsi Béatrice Massin avec sa compagnie Fêtes galantes, son Atelier baroque, sa formation professionnelle, sa pépinière de chorégraphes, vaut bien pour sa bonne ville d’Alfortville le CCN dont il n’a pas le label. Abou Lagraa et sa compagnie La Baraka, sa chapelle historique restauré en studio exceptionnel, ses résidences et ses accueils d’artistes, ses présentations et ses activités, valent bien le CDC (Centre de développement chorégraphique) que la ville d’Annonay (Ardèche) peinerait à obtenir pour ce département peu avantagé institutionnellement. Difficulté supplémentaire, nombre de potentiels candidats au poste de directeurs de CCN comprennent difficilement que portent sur eux plus de contraintes – à commencer par cette limitation de durée – que sur les directeurs de CDC, qui partent en retraite au terme légal de leur CDI… D’où le choix parfois, pour un artiste, de mettre en parenthèse ou de clore sa carrière, pour continuer à œuvrer dans la danse, mais autrement. Or un CCN doit impérativement être dirigé par un chorégraphe et le réseau des CDC ne cesse de croître, ce qui se vérifiera encore la saison prochaine. Comme écrivait Rudyard Kipling : « Ceci est une autre histoire ».
Philippe Verrièle
En partenariat avec La Lettre du spectacle n°565
Légende photo : L’Agora de Montpellier au cœur des difficultés des nominations
Crédit photo : D. R.