Onzième édition du festival Rewire. Dans un halo de lumière carmin, les notes à la fois majestueuses et inquiétantes de l’orgue actionné par Anna von Hausswolff résonnent sous la voûte de la « grote kerk », la grande église de La Haye (Pays-Bas). Pas d’inquiétude ici, en ces terres néerlandaises libérales et surtout protestantes, la sécurité est réduite au strict minimum et des débordements comparables aux violences commises à Nantes relèvent de l’improbable. En ce cœur historique du pouvoir aux Pays-Bas, qui continue d’abriter les institutions gouvernementales même si La Haye a cédé le titre de capitale officielle à Amsterdam, les liens avec la France sont à chercher ailleurs. Mais ils sont bien réels.
Ici, un lycée français, à deux pas du front de mer, là, une plaque rendant hommage à Louis Napoléon, frère de Napoléon 1er qui lui avait confié la tête du royaume de Hollande. Cette présence française était aussi perceptible, à travers les denses textures électroniques du parisien Aho Ssan, dans une programmation étalée du 7 au 10 avril dernier, à la croisée de l’électronique, des musiques nouvelles et de l’art contemporain. Mais Rewire, dont la ligne défricheuse pourrait assez bien se comparer à celle du célèbre magazine britannique The Wire (Adventures In Modern Music/Aventures dans la musique moderne), est aussi un rendez-vous d’experts.
Rencontres professionnelles
« Tous les ans, Rewire organise une programmation destinée aux professionnels, souligne Gerco de Vroeg, responsable du bureau parisien du Performing Arts Fund Netherlands, un nouveau programme destiné à faire monter en puissance la coopération franco-néerlandaise dans le circuit du spectacle vivant labellisé. En tout, quinze français ont répondu positivement cette année. » Parmi eux, Stéphane Roth, directeur général du festival Musica, à Strasbourg ; Sandrine Piq, conseillère musique à l’Onda ; Pierre Templé, responsable de la musique au Lieu Unique à Nantes ou Camille Rhonat, directeur artistique du festival de musique contemporaine Superspectives, à Lyon.
Au Théâtre Korzo de La Haye, ils croisent des professionnels néerlandais comme Martijn Buser, nouveau directeur artistique du festival Gaudeamus à Utrecht ayant succédé à son patron emblématique Henk Heuvelmans. Mais aussi Jochem Valkenburg, directeur de la programmation musicale et du théâtre musical au Holland Festival. Édouard Lambert, lui, vient aussi de Lyon, il est administrateur du Périscope, une SMAC labellisée depuis 2018, dont la salle récemment rénovée offre de la diffusion en jazz, un lieu de création et un espace de résidence. « Notre directeur Pierre Dugelay est aussi membre du conseil d’administration du réseau jazz AJC, l’association Jazzé Croisé, signale Edouard Lambert. Nous organisons chaque année 130 concerts et une trentaine de résidences de un à cinq jours. Nous avons aussi une activité d’accueil de porteurs de projets un peu déconnectée du label SMAC, qui concerne l’édition phonographique ou des collectifs d’artistes. »
Jeu collectif
Collectif artistique pour sa part néerlandais, Slagwerk Den Haag a permis dans l’après-midi du samedi 9 avril de réaliser une démonstration de l’esprit collectif et du pragmatisme locaux. « À Performing Arts Fund Netherlands, nous sommes à la fois indépendants et financés par le ministère de la Culture, expose son directeur Bas Pauw. Pendant les deux ans et demi à venir, notre objectif est de permettre à la musique néerlandaise d’être mieux découverte en France. Mais il n’y pas de motif nationaliste derrière cela, simplement la conviction qu’ils méritent une plus large diffusion. » Ce moment néerlandais doit aussi s’apprécier à la lueur du contexte ukrainien, en plein redéploiement du « soft power » européen, alors que le quatrième gouvernement d’affilée de Mark Rutte est en train de gagner en influence au sein de l’UE à la faveur du Brexit. Au Théâtre Koninklijke Schouwburg (Théâtre royal de la Haye), où sont conviés les professionnels, on découvre des performances du violoncelliste Alistair Sung avec Stargaze, ensemble de musiciens réputés pour ses réinterprétations de Fugazi ou sa collaboration avec Poliça. Tout comme pour ses adaptations scéniques d’un répertoire que ses créateurs ne jouent pas sur scène, celui du duo écossais de musique électronique Boards of Canada.
Ce cocktail de créativité autonome se retrouve aussi dans la performance de la compositrice Genevieve Murphy, accompagnée ici sur scène par le guitariste Andy Moor de la formation culte The Ex, groupe du cru très apprécié de la scène alternative en France. « Genevieve Murphy propose aussi une pièce de théâtre en solo qui dure une heure », glisse Jimmy-Pierre de Graaf, son agent basé à Rotterdam. Stéphane Roth, directeur général, de Musica, festival européen de création musicale contemporaine avec 2,1 M€ de budget, semble bluffé par la cohésion qui se dégage de ce match d’exhibition néerlandais : « J’observe aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves et nordiques une aptitude à concilier une organisation solide, une recherche artistique exigeante et une capacité à valoriser les projets dont nous pourrions nous inspirer en France ».
Nicolas Mollé
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°514
Légende photo : Ryoji Ikeda et les Percussions de Strasbourg.
Crédit photo : D. R.