Lors d’un spectacle du festival de l’Offrande musicale, des musiciens ont reçu des projectiles de feu d’artifice et subi des traumatismes auditifs parfois très sérieux.
Que s’est-il passé le 13 juillet au soir, sur le lac de Payolle (Hautes-Pyrénées), lors du spectacle Music for the Royal Fireworks, de Haendel, donné par le Concert d’Astrée, en clôture du 4e Festival de l’Offrande musicale ? Pour nombre de musiciens, ce fut un choc auditif et émotionnel d’une intensité rare. Cet événement, couplé à un feu d’artifice qui monte en puissance jusqu’à un final tonitruant, a donné lieu a des « traumatismes auditifs » documentés, une sidération et un accident du travail déclaré par le Concert d’Astrée pour ses 38 artistes. Trois musiciens seront d’ailleurs en arrêt le lendemain du concert. Une catastrophe.
Astrée déclare l’accident du travail
Les témoignages que nous avons recueillis sont éloquents et recoupent ceux publiés par La Lettre du Musicien. Plusieurs artistes ont comparé cela à « des bombardements » étant donné l’intensité des explosions sur la scène flottante, face à la montagne. Leur cheffe, Emmanuelle Haïm, s’en est elle-même émue dans un courriel du 16 juillet aux membres de l’ensemble. Le concert, admet-elle, « a été particulièrement éprouvant et traumatisant […] Malgré nos efforts, les dysfonctionnements ont été importants jusqu’à ce feu d’artifice catastrophique, incontrôlé et tonitruant […] L’équipe met tout en œuvre pour que nous puissions vous aider au mieux. » Dès le lendemain, sa directrice de production écrit aux personnels intermittents du spectacle afin de proposer « la consultation (au moins à distance) d’un médecin ORL si vous avez des symptômes persistants sur place ». Le courriel propose aussi « le contact d’un ORL parisien », connu de l’ensemble, « un formulaire » afin d’avoir « le retour le plus rapide possible » et de faire part « d’autres symptômes ». « Les déclarations d’accident du travail » pour tous seront faites, dit-elle. Pour conclure : « Si vous avez des dégâts sur vos instruments, éventuellement vos tenues, ou avez reçu des projectiles [veuillez me] l’indiquer. » Le 15 juillet, l’administratrice financière et RH informe que l’ensemble est « en train de faire les déclarations d’accident du travail » et pousse les artistes à faire « établir un certificat médical ». Le 16 juillet, elle prévient « des possibilités de consultations auprès du service médecin direct 24/24 h et 7/7j dans le cadre du contrat santé ». Une cellule d’écoute est en place pour ceux qui relèvent de la mutuelle d’Audiens.
L’Offrande tarde
Ce n’est que le 17 juillet que la présidente du festival, Jéselyne Vallé, écrit aux artistes : « Nous déplorons vivement les désagréments que vous nous avez exposé avoir subis […]. Le festival présente ses plus vives excuses à ceux des musiciens qui souffriraient encore des nuisances sonores qu’ils auraient subies. » Un conditionnel mal à propos et tardif, pour les artistes. « David Fray, en sa qualité de pianiste, est particulièrement sensible aux problèmes liés à l’audition et tient à faire personnellement preuve de la plus grande compassion si des artistes souffraient encore », poursuit encore Jéselyne Vallé qui met la balle dans le camp de l’artificier, « celui qui organise les feux d’artifice privés de Versailles […] Nous lui adressons immédiatement un courrier pour l’interroger sur les points que vous soulevez : trop grande proximité des barges, point de départ des fusées, avec la scène et intensité des décibels, points sur lesquels nous n’avons nous-mêmes pas cessé d’insister.»
Et l’artificier ?
Léopold Decourcelle se dit très surpris, « bousculé » par ces retours, d’autant que le festival de l'Offrande l'a encouragé à « lever toute suspicion sur ce qui s'est passé ». Il assure ne pas avoir reçu ce courrier. Sur la distance de sécurité, qui conditionne la prévention des risques auditifs, il affirme que « les 5 barges du tir de lancement des artifices étaient placées à 65 mètres de celle des musiciens alors que la distance réglementaire est de 50 mètres ».
Et pour les effets de bombes ? « Le tir de lancement était placé à 145 mètres au lieu des 125 mètres réglementaires ». Pour lui, « aucune retombée de débris sur les musiciens », ni aucun incident dans le public signalé. Un déni de réalité ? Des membres du Concert d’Astrée le contredisent : « J’ai vu ce débris aux pieds de ma collègue et j’en ai reçu », dit l’un, étonné de cette assurance. Des photos ont été prises par l’ensemble. Pour un des musiciens, rompus à ces spectacles avec feux, « quand vous tirez sur l’eau, c’est un amplificateur. Et en plus entouré d’une chaîne de montagnes… C’était n’importe quoi. » Selon lui, l’artificier aurait averti de la configuration. Léopold Decourcelle assure même avoir envoyé à la cheffe d’orchestre les informations au mois de mai, avec les moments où le bruit serait plus intense : deux temps successifs de 2 minutes et 40 secondes, sur 19 minutes et 40 secondes de feu silencieux, dit-il.
L’orchestre ne nous a pas répondu sur d’éventuels griefs envoyés à l’artificier ou au festival. L’Offrande musicale n’a pas plus levé nos interrogations sur son plan de prévention et sur l'envoi du dossier de sécurité (plan de tir et dispositions pour limiter les risques) à la mairie et à la préfecture. Une préfecture, elle aussi, insensible à nos questions. Le choc du 13 juillet les a-t-il rendu sourds ?
Arzelle Caron et Jérôme Vallette
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°567
Légende photo : Capture d’écran d’une vidéo réalisée par un spectateur.
Crédit photo : D. R.