La crise favorise t-elle les maisons de disques par rapport aux producteurs de concerts ? Les premiers vont voir leurs chiffres d’affaires baisser de l’ordre de 30 % pour les premières contre 85 % pour les seconds. Angelo Gopee, patron de Live Nation France, avait démissionné du conseil d’administration du Prodiss et attiré l’attention sur le sujet. Il prévient : « Beaucoup d’artistes signent avec des maisons de disques qui font de la production de concerts, au détriment des seuls producteurs de concerts. Les maisons de disque ont trois sources de revenus : l’édition, la musique enregistrée avec le streaming et la scène. Il va y avoir une redistribution des cartes après la crise. »
Pierre-Alexandre Vertadier, dirigeant de Décibels Productions, filiale concerts de la major Warner, voit les choses différemment : « Il ne faut pas opposer producteurs indépendants et producteurs rattachés à une maison de disques. Il y a de la place pour tout le monde. Je fais mon métier comme un indépendant, je ne m’occupe que de spectacles et plus de la moitié de mes artistes ne sont pas signés chez Warner. Les deux seuls avantages à être adossé à un groupe : trouver des synergies et éviter les actuels problèmes de trésorerie. » La diversification des maisons de disques dans les concerts n’est pas récente puisque Warner Music France avait racheté Camus Productions dès 2008.
Olivier Poubelle, fondateur d’Astérios, pense que le problème n’est pas directement lié à la crise sanitaire : « Nous sommes confrontés à des groupes aux moyens colossaux qui peuvent démarcher des artistes, mais ces derniers les sollicitent également. Avant même ce phénomène, les petits producteurs de concerts avaient du mal à garder les artistes à très forte notoriété. »
Chad Boccara, manager de l’artiste Suzane, l’a incitée à signer chez Wagram Music et avec sa filiale W Spectacles. « Devions-nous mettre tous nos œufs dans le même panier ? Avec le recul, je le crois car il y a un vrai dialogue entre les deux structures qui sont situées dans les mêmes bureaux. » La révélation scène des Victoires 2020 touche encore des droits d’auteurs sur des concerts donnés avant l’arrêt dû à la pandémie.
Les producteurs de disques et de concerts vont-ils s’opposer aux producteurs de seuls concerts au sein du Centre national de la musique (CNM) ou du Prodiss, comme semble le craindre Angelo Gopee ? « À la différence du cinéma ou du disque, notre syndicat regroupe groupes et indépendants, ce qui fragilise la liberté de parole et le positionnement du Prodiss », juge Olivier Poubelle. Une opposition paradoxalement soulevée par le dirigeant de la filiale de la multinationale Live Nation, qui peine à constituer un catalogue d’artistes français.
Du côté du CNM, son président Jean-Philippe Thiellay lance : « C’est une question qui renvoie aux équilibres entre des secteurs de plus en plus poreux. Il est économiquement dangereux que certains producteurs de spectacles subissent les conséquences de transferts d’artistes qu’ils ont développés vers de grands groupes. » Un point évoqué lors des auditions menées par l’Autorité de la concurrence, laquelle doit bientôt rendre un avis sur les phénomènes de concentration dans les musiques actuelles.
Nicolas Dambre
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°488
Légende photo : La chanteuse Suzane
Crédit photo : Eric Deguin