3 questions à Aline César, autrice, metteuse en scène, directrice de la Compagnie Asphalte, copilote du groupe ÉgalitéS du Syndeac.
Les grands plateaux, les grosses productions sont-elles toujours la destination, l’objectif à atteindre ?
Pour un artiste, c’est encore souvent un horizon, un graal. C’est l’idée de ne pas se limiter dans son imaginaire, envisager une scénographie conséquente, des moyens, beaucoup d’artistes au plateau. C’est ce qu’on projette spontanément, car notre éducation artistique s’est forgée au travers de cela. Mais aujourd’hui, cela ne correspond plus forcément aux imaginaires, aux esthétiques et aux désirs des artistes. Il y a un décrochage. L’institution continue de trop se focaliser sur le grand format comme critère de réussite. Cela est lié à la décentralisation et au maillage territorial : il faut remplir «les grandes salles», et le grand format est gage de visibilité, de rentabilité économique, de retentissement médiatique. Ce décrochage est aussi lié à la question de la transition écologique. Un grand plateau a un coût écologique important quant à la construction, au transport, au stockage...
Que permettrait une plus grande pluralité de formats ?
Le grand plateau n’est pas ce qui va correspondre à tous les propos. Il y a un enjeu à ouvrir à une diversité de formes, pour permettre d’autres récits, une relation plus proche avec le public. Des formats plus immersifs, sortir de la boîte noire et proposer des créations in situ, des promenades. Il y a un enjeu à habiter le monde autrement en tant qu’artiste. On pose un jugement esthétique sur ce qui est avant tout un modèle économique. Dans l’inconscient collectif, l’art monumental serait un gage du génie. Tout cela est très viriliste. Des récits de l’intime, du théâtre d’objets, de la marionnette, sont tout autant de la dentelle, or on leur attribue moins de valeur car ce sont des formats plus petits.
L’enjeu se situe-t-il également dans la relation aux publics ?
Ces formats peuvent permettre de décentrer – et non décentraliser – l’objet artistique, en allant plus vers le public. J’ai fait un solo à Avignon, en appartement, et je ne pouvais pas l’envisager autrement que dans un rapport très direct au spectateur que je voulais pouvoir regarder dans les yeux. Il ne s’agit pas de renoncer au grand format, mais il faut avant tout une diversité ; donner leurs lettres de noblesse à ces formats offrant d’autres rencontres avec le public, transfigurant le rapport à l’espace, au temps, renouvelant les expériences proposées. Des formes aussi moins gourmandes en énergie et en moyens.
Propos recueillis par Julie Haméon
En partenariat avec La Lettre du spectacle n°529
Crédit photo : D. R.