L’absence de réaction à la nomination, le 14 septembre, de Medhi Kerkouche à la tête du Centre chorégraphique national de Créteil marque une certaine gêne… Toujours pas de communiqué de l’ACCN (Association des centres chorégraphiques nationaux) ou de toute autre institution, à l’exception du ministère de la Culture. Aborder la question avec un professionnel, programmateur ou artiste, c’est s’attirer un sourire un peu gêné et à part quelques gausseries sur les réseaux sociaux (à propos de « danses chorégraphiques » concept hasardeusement avancé par le nouveau directeur Cristolien), personne ne veut prendre la parole : « On verra bien, il est très sympathique », quand d’autres rappellent : « la dernière fois que l’on a protesté contre une nomination, on s’est tellement fait taper sur les doigts ! »…
Olivier Stora, nouveau directeur de Danse Dense à Pantin, principale structure dévolue à l’accompagnement des chorégraphes émergents, expose : « J’espère qu’une digue n’a pas cédée, c’est-à-dire que la reconnaissance par les pairs reste un critère », car, faute de cette reconnaissance et des créations qui la justifient, peut-on devenir directeur d’un centre chorégraphique ? Le communiqué du ministère est à cet égard édifiant : il n’utilise pas une fois le mot chorégraphe. Si l’on admet que ce dernier n’est pas celui qui compose les danses (travail de maître de danse ou de ballet) mais qui signe une œuvre chorégraphique, le successeur de Maguy Marin, José Montalvo et Mourad Merzouki n’en a que deux à son actif. Les réseaux sociaux diffusent la prestation du jeune homme dans le concours de chant X Factor, en 2011, mais pas tellement, et pour cause, ses spectacles. Ses vidéos produites pendant le confinement ont été très remarquées et lui ont valu de « signer » une pièce pour l’Opéra de Paris : sa carrière de chorégraphe n’est guère plus riche que celle de la majorité des professeurs de danse (il en fut un très bon au Studio Harmonic, à Paris).
Dès lors pourra-t-on aujourd’hui dénier à quiconque veut diriger un CCN le droit de le faire quelle que soit sa carrière ? Celle de Mehdi Kerkouche est celle d’un danseur parfaitement à l’aise dans le monde télévisuel, il n’est pourtant qu’un chorégraphe très médiatique mais en devenir. La volonté de maintenir l’appel à candidatures peut se discuter aussi, quand la short-list, de quatre, s’est réduite à deux noms au fil des désistements. « À quoi cela sert de vouloir absolument maintenir un label si personne n’en respecte l’esprit ? », demande Christophe Martin qui, depuis Micadanses qu’il dirige, connaît fort bien les problématiques de l’émergence. « Un directeur de CCN doit avoir une œuvre en regard ; si ce n’est pas possible, il ne faut pas s’obstiner à garder le label. Cela permettrait aussi d’avoir un nouveau CCN dans une nouvelle ville. Cela pourrait être un signe fort ! »
Philippe Verrièle
En partenariat avec La Lettre du spectacle n°523
Légende photo : Mehdi Kerkouche
Crédit photo : Julien Benhamou