Après l’annulation du Off d’Avignon, les théâtres regardent l’avenir avec inquiétude. Marie Broche, directrice de l’Espace Roseau Teinturiers, détaille : « Je suis à 1 000 euros près car nous sommes une structure familiale fragile avec un énorme crédit immobilier. Avant nos reports de crédits, nous estimions nos pertes à 200 000 euros. Sur 17 créneaux loués à des compagnies, 14 ont été reportés à 2021 aux mêmes conditions. » Ce théâtre permanent va multiplier les activités à l’année, comme des cours de théâtre ou de cirque. Installé de longue date, le Théâtre des Barriques déclare avoir une assise financière solide et être suivi par sa banque. Pour sa part, la Factory (théâtres de l’Oulle et salle Tomasi) a suspendu son projet de reprise d’un lieu. Stéphane Dupont, directeur des théâtres Carnot et l’Autre Carnot, est dans une situation financière compliquée : « J’ai acheté l’Autre Carnot l’an dernier après de nombreux travaux, avec un crédit d’un montant équivalent au loyer que j’y payais. J’ai 52 000 euros de frais fixes à l’année sur les trois salles hors salaires de trois régisseurs. Comme je propose aux compagnies essentiellement des coréalisations, cela m’a évité d’avoir trop d’acomptes à rembourser. » Certains lieux ont contraint des compagnies à réserver le même créneau pour l’année prochaine afin de garder leur acompte, tandis que d’autres augmenteraient les prix d’environ 20 %. Ce que démentent les lieux que nous avons sollicités.
Parce qu’ils n’étaient pas censés ouvrir durant le confinement, les théâtres sont exclus du Fonds d’urgence pour le spectacle vivant (privé). L’association Avignon Festival & Compagnies (AF&C) travaille depuis deux mois à la création d’un fonds avec la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture. « Le dispositif est prêt, il serait d’un montant d’un million d’euros mais nous attendons toujours le feu vert du ministre de la Culture », s’inquiète Pierre Beffeyte, président d’AF&C. Les procédures de sauvegarde ou de conciliation pour les structures en cessation de paiement ont été repoussées au 10 octobre, mais certaines sociétés lorgnent dès à présent sur les théâtres les plus fragiles. Quelques lieux de la cité des Papes proposeront une offre cet été. Les cinq théâtres permanents du collectif Scènes d’Avignon mettent sur pied un cycle de lectures en extérieur du 16 au 23 juillet. De son côté, Laurent Rochut, directeur de la Factory, indique : « Nous proposerons à 5 ou 6 compagnies de montrer leur travail durant 4 jours mi-juillet. Davantage pour éviter une ville morte cet été que pour générer des recettes. » Stéphane Dupont estime que les conditions actuelles ne sont pas réunies pour ouvrir, avec des hôtels vidés de leurs touristes. Matthieu Hornuss, directeur du Théâtre des Barriques, nuance : « Je ne suis pas partisan d’organiser quelque chose car cela coûtera cher en déplacements et hébergements pour les artistes. En revanche, cela peut être une opportunité pour des compagnies régionales. »
En somme, constate Pierre Lambert (Présence Pasteur), « chacun est maître chez lui. C’est un fait et une revendication. » Une revendication portée par la toute nouvelle Fédération des Théâtres d’Avignon, qui regroupe 57 lieux, présidée par Pierre Lambert, qui explique : « Nous nous estimons mal représentés par AF&C. Son président est souvent hostile aux théâtres et souhaite contrôler le Off. » La fédération entend soutenir les lieux tout en développant des stratégies communes. AF&C a mené une consultation qui a obtenu 863 réponses sur des pistes d’avenir du Off. Par ailleurs, des États généraux du Off ont été lancés, entre autres à l’initiative de l’association Ls Sentinelles. Restera à coordonner ces différentes actions.
Nicolas Dambre
En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°475
Crédit photo : Eric Deguin